La Parole parfaite n'est pas seulement véridique, même dans son sens le plus intégral ; elle est aussi affectueuse et pleine d'amour. C'est la vérité exprimée dans l'amour ou avec amour. Cela ne signifie pas seulement utiliser des termes d'affection, ou quoi que ce soit de ce genre. Parler avec affection ou avec amour signifie dans ce contexte dire la vérité dans son intégralité, avec une prise de conscience complète de la personne à qui vous parlez. Combien d'entre nous peuvent-ils faire cela ? Si nous y pensons nous réaliserons que quand nous parlons à des personnes, en général nous ne les regardons pas. N'avez-vous jamais remarqué cela ? C'est probablement vrai dans votre cas, et dans le cas des gens qui vous parlent. Quand ils vous parlent, ou quand vous leur parlez, vous ne les regardez pas. Vous regardez au-dessus de leurs épaules, vous regardez leur front, vous montez les yeux au plafond ou les descendez à terre ; vous regardez partout, ou presque, à l'exception de la personne à qui vous parlez. Si vous ne regardez pas les autres (et c'est une des choses que nous essayons de corriger dans nos exercices de communication, comme certains d'entre vous le savent à leurs dépens), vous ne pouvez pas prendre conscience d'eux.
Nous pouvons dire que l'amour, dans le sens dans lequel nous utilisons ce terme à présent, signifie la prise de conscience de l'être d'une autre personne. Si, donc, vous ne connaissez pas l'autre personne, comment pou,vez-vous lui parler affectueusement ? Cela n'est simplement pas possible. Bien sûr, nous aimons à penser que nous avons de l'amour pour les gens, que nous sommes affectueux, mais c'est très rarement le cas. Nous voyons généralement les gens en termes de nos propres réactions émotionnelles envers eux. Nous avons envers eux une certaine réaction émotionnelle, et puis nous attribuons cette réaction émotionnelle envers eux comme étant une de leurs qualités. Si par exemple une personne fait ce que nous aimerions qu'elle fasse, alors nous disons qu'elle est bonne, gentille, serviable, etc. Ainsi, nous ne communiquons pas réellement avec cette personne particulière. Ce qui se passe réellement, la plupart du temps, c'est que nous communiquons, ou essayons de communiquer, ou prétendons communiquer, avec nos propres projections mentales.
C'est particulièrement le cas de ceux qui, à ce que nous prétendons, nous sont proches et chers. Parents et enfants, frères et sœurs, maris et femmes se connaissent très rarement les uns les autres. Ils peuvent avoir vécu ensemble pendant vingt, trente, ou quarante ans, mais ils ne se connaissent pas les uns les autres. Ils connaissent leurs propres réactions les uns envers les autres, et ils attribuent ces réactions aux autres. Ils pensent donc qu'ils les connaissent ; mais en fin de compte ils ne les connaissent pas du tout. Ils ne connaissent que leurs propres états mentaux et émotionnels projetés.
Cela fait réfléchir. Il y avait un dicton : « Sage est le père qui connaît son propre enfant. » Eh bien, sage est l'enfant qui connaît son propre père, sage est la femme qui connaît son propre mari, très sage est le mari qui connaît sa propre femme ; car plus vous vivez avec des gens, spécialement avec des gens avec qui vous avec des liens de sang ou de forts liens émotionnels, moins, dans le vrai sens spirituel, vous les connaissez. Après tout, pour le bébé, qu'est-ce que la mère ? La mère est simplement une merveilleuse sensation de chaleur et de confort, de sécurité et de bien-être : voilà ce qu'est la mère. L'enfant ne connaît pas la mère en tant que personne. La même chose est vraie pour d'autres relations. Et cela reste généralement ainsi durant la plus grande part de notre vie, avec un peu de raffinement et de rationalisation ici et là. Cela est vrai pour la plupart d'entre nous, la plupart du temps.
C'est pour cela qu'il y a tant d'incompréhensions entre les gens, tant d'échecs dans la communication, tant de déceptions, en particulier dans les relations les plus intimes de la vie. Les gens se comprennent de travers car une personne ne connaît pas l'autre et ne peut donc l'aimer. Il n'y a qu'une pseudo-communication entre des projections, et rien de plus. Je sais que cela semble sévère et peut-être assez horrifiant, mais c'est vrai ; et je pense qu'il est très bon et très salutaire de regarder la vérité en face sans attendre, à propos de nous-mêmes et des autres, et de réaliser que, dans la plupart des cas, ce que nous appelons nos relations ne sont qu'un labyrinthe de telles projections réciproques, sans aucune connaissance ni compréhension réciproques, pour ne pas parler d'amour réciproque.
Mais s'il est une telle chose que la prise de conscience et l'amour réciproques, et si nous sommes capables de dire la vérité à une autre personne, en prenant conscience de cette autre personne - ce qui signifie, bien sûr, aimer cette autre personne, l'amour étant la prise de conscience de cet autre être - alors nous saurons aussi ce dont elle a besoin. Si nous connaissons vraiment cette autre personne, nous saurons ce dont elle a besoin, ce qui est bien différent de ce que nous pensons qu'elle devrait avoir parce que cela serait bon pour nous si elle l'avait, ceci étant ce que la plupart des gens entendent par « savoir ce qui est bon pour les autres ». Savoir ce dont d'autres personnes ont besoin signifie savoir ce qui est bon pour elles de manière très objective, sans référence à nous-même. Nous saurons alors ce qui doit être apporté, ce qui doit être donné, comment elles doivent être aidées, et ainsi de suite. Ceci nous mène au troisième niveau de Parole parfaite, ou troisième étape de la communication.
'Vision and Transformation' © Sangharakshita, Windhorse Publications 1990, traduction © Christian Richard 2003.