« Suppose, Subhuti, qu'il y ait un homme qui ait un corps, un corps énorme, de telle sorte qu'il ait une existence personnelle telle que celle du Soumerou, le roi des monts. Serait-ce, Subhuti, une existence personnelle énorme ? Subhuti répondit : Oui, énorme, Ô Seigneur, énorme, Ô Bien Allé, serait son existence personnelle. Et pourquoi le serait-ce ? « L'existence personnelle , l'existence personnelle » a été enseignée comme étant une non-existence par le Tathagata ; car, Ô Seigneur, elle n'est ni existence ni non-existence. Elle est donc appelée « existence personnelle ». »
Au premier coup d'œil il semble que l'idée d'un homme avec un corps aussi grand que le mont Soumerou soit plutôt grotesque. Mais ce n'est une existence personnelle énorme que parce que c'est une existence unique. L'idée disparaîtrait si tout le monde était aussi grand que le mont Soumerou - c'est-à-dire se dressant à quatre-vingt-quatre mille lieues (une lieue mesurant environ quatre kilomètres) au-dessus du niveau de la mer.
Conze, en suivant peut-être un des commentaires indiens, dit que ce passage « est fait pour insister sur la grandeur toute-pénétrante du corps du Dharma », mais n'offre pas de raison irrésistible pour accepter ce qu'il présente comme une interprétation indiscutable. En fait, il conclut en se dérobant quelque peu à sa responsabilité de traducteur et de commentateur, disant : « Tout le passage perd son sens avec la traduction... » Ce n'est vraiment qu'un rideau de fumée, car la traduction n'est pas plus obscure que l'original : aucun jeu de mots n'y est perdu, par exemple.
Il peut bien y avoir l'implication que tout l'univers est le dharmakaya, mais il ne semble pas y avoir de lien précis. Ce qui est clair est le principe général que quelle que soit la chose avec laquelle vous vous identifiez, même si, en suivant certaines formes du Vedanta, vous considérez tout l'univers comme étant vous-même, cette existence personnelle est toujours une non-existence. La vue bouddhique est que ceci - quoi que ce soit - ne m'appartient pas, ceci n'est pas mon moi. Cependant, dans une forme de Vedanta au moins, l'approche est plutôt d'étendre le soi autant que possible, d'étendre la conscience à tel point que l'on devienne un avec tout ce qu'il y a dans l'univers. C'est une procédure parfaitement légitime, jusqu'à un certain point : la pratique des quatre brahma-viharas, les « demeures des dieux », impliquant le développement du metta, de la joie sympathique, de la compassion et de l'équanimité, fournit une voie non dissemblable, impliquant l'expansion des sentiments, si ce n'est de l'être. Mais considérer tous les êtres comme étant vous-même, tous les corps comme étant votre corps, et tout ce que vous voyez comme étant vous-même n'est pas une ligne de pensée bouddhique mais upanishadique. Selon les Upanishads, vous identifiez à l'intérieur de vous votre atman avec le Brahman, et à l'extérieur de vous la totalité de l'univers avec votre propre corps.
C'est contre un tel panthéisme cosmique que ce passage du sûtra est peut-être dirigé. Même si votre corps est un corps cosmique, en tant qu'existence personnelle c'est toujours une non-existence. Ce que le Vedanta ne réalise pas c'est que ce corps cosmique universel est toujours essentiellement shunya. Vous ne résolvez pas le problème du soi simplement en étendant votre soi. Aussi étendue que soit la chose avec laquelle vous vous identifiez, il y a toujours une limite si vous ne considérez pas l'« existence personnelle » comme une « non-existence ». Selon la « logique » qui est présente dans tout le sûtra, même une existence aussi grande que le mont Soumerou serait grande parce qu'elle est une non-existence.
Il est cependant approprié à ce point de se souvenir de l'avertissement de Candrakirti : « Il vaut mieux croire en un soi aussi grand que le mont Soumerou que d'avoir une vue fausse de la shunyata, car un médicament peut vous soigner si vous êtes malade, mais lorsque le médicament devient un poison, alors quel espoir avez-vous ? » Il dit en effet qu'il vaut mieux suivre le Vedanta et croire en un soi Absolu, que de penser que vous-même et tout ce dont vous faites l'expérience est illusion. Nous pouvons bien nous amuser, en tant que bouddhistes, à faire tomber les vérités ultimes d'autres religions comme des quilles, en disant : « Il n'y a pas de Dieu », « Il n'y a pas d'âme », et ainsi de suite, mais ces choses, au moins, symbolisent quelque chose qui est au-dessus et au-delà de ce qui est matériel et mental. Nous devons faire attention à ne jamais permettre à une réduction du bouddhisme en une forme de matérialisme ou de nihilisme de se répandre du fait d'une mauvaise compréhension de la shunyata.
Nous pouvons même aller jusqu'à dire que la forme classique de la doctrine de l'anatman, présentée sèchement et littéralement, est hors de propos et ne nous avance guère. Nous pouvons avoir lu à son sujet dans des livres sur le bouddhisme, mais si nous sommes des bouddhistes pratiquants, la question ne se pose simplement pas sous cette forme abstraite. L'atman qui est nié par cette doctrine est notre être présent conçu en tant que quelque chose d'ultime, au-delà duquel il n'y a pas de possibilité plus grande ou plus élevée, ou que nous n'allons jamais transcender. L'anatman veut dire que le soi empirique n'est pas ultime. Là où veut en venir la doctrine c'est qu'au-delà de notre présent mode d'existence et d'expérience, il y a d'autres dimensions d'être vers lesquelles nous pouvons grandir d'une façon que notre sens d'individualité présent ne peut concevoir. En niant l'âme, la doctrine de l'anatman ne nie rien de plus profond. Elle dit que nous nous fermons à toute chose plus profonde en affirmant : « Non, ceci est moi. » Nier l'« âme » dans son sens poétique, en tant qu'expression de l'aspect émotionnel plus profond de notre existence, serait mettre le bouddhisme sous une lumière complètement fausse.
Si le concept de l'anatman doit être manipulé avec précautions, il a une valeur positive car il ouvre la porte à un développement beaucoup plus radical et d'une portée considérable que ne le fait le concept d'âme. Les mystiques ont des difficultés notoires lorsqu'ils tentent d'interpréter leur expérience en termes de Dieu et d'âme.
Une des grandes difficultés avec laquelle étaient confrontés les bouddhistes indiens était de savoir comment ils pouvaient donner une idée, à l'esprit rationnel au moins, d'un niveau de conscience plus élevé dont on peut vraiment faire l'expérience dans le futur - qu'on peut en un sens vraiment devenir - sans que l'ego ne se l'approprie et ne l'use pour se désigner lui-même. Vivekananda, lorsqu'il vint en Occident, avait coutume de dire : « Vous n'êtes pas des pécheurs, vous êtes divins, vous êtes Dieu », ce qui était alors bien sûr très rafraîchissant, et est une assertion tout à fait honnête si on la comprend comme signifiant que si l'on casse son individualité présente, on émerge dans une dimension qui est Dieu mais qui est néanmoins soi-même. Mais ce qui tend à se produire, c'est que l'on prend cela pour signifier que sous certains aspects « je » suis Dieu. Ce qui devrait être la substance du soi est pris pour un de ses attributs, et du fait de cette suggestion il est très difficile d'éviter un léger grossissement du soi. Le bouddhisme n'encourage donc pas à imaginer « je suis l'Absolu », « je suis Bouddha » ou « je suis Éveillé », à l'exception peut-être de pratiques tantriques très avancées où l'on s'identifie avec la déité du centre du mandala. Même alors, cela se passe dans des circonstances très particulières et avec toutes sortes de garde-fous et de soutiens, incluant l'œil attentif de son maître.
Le Bouddha se préoccupait de dénier la doctrine brahmanique de l'atman parce que l'idée d'un soi immortel, non changeant et autonome, impliqué par la connotation d'autonomie de l'atman, devait être rejetée comme une forme de la vue extrême de l'éternalisme. Mais il se préoccupait aussi de se défendre de l'extrême opposé, l'annihilationisme. Quand Vacchagotta l'Errant lui demanda : « Qu'avez-vous à dire de l'existence du soi ? », il resta donc silencieux. Après que, dégoûté, son visiteur l'eut quitté, le Bouddha déclara à Ananda que s'il avait répondu que le soi n'existait pas, « cela aurait ajouté à la confusion de Vacchagotta l'Errant, qui est déjà confus. Car il aurait dit : "Auparavant j'avais un moi, mais maintenant je n'en ai plus." »
Le fait est que nous avons un soi, somme totale de toutes nos activités, de tout ce que nous pensons, voyons, ressentons, voulons et imaginons. Ce « soi » peut être appelé svabhava, « propre-être ». La doctrine de l'anatman nous dit simplement de faire attention à ne pas faire l'abstraction d'une entité séparée et activant ces processus d'une façon ou d'une autre. Il y a quelque chose d'autre derrière eux, il y a une autre dimension de conscience, il y a même l'Éveil, mais cela ne doit pas être désigné comme un « soi ». Quand, donc, nous affirmons que le soi est vide, nous devons savoir clairement de quoi nous parlons. D'une part, notre « propre-être », en tant que somme totale de nos activités, est vide dans le sens où il est sujet à la loi de la conditionnalité. D'autre part, le soi en tant qu'entité abstraite derrière ces processus est vide dans le sens où il est illusoire, où il n'existe pas du tout.
Dans l'expérience réelle, nous ne pouvons bien sûr pas être tout à fait certain d'où s'arrête notre soi illusoire et où commence notre soi réel et empirique. La loi de l'anatman pourrait donc être présentée ainsi : le soi est illusoire dans la mesure où il dit être absolu ; c'est-à-dire qu'il est illusoire dans la mesure où il a des exigences absolues et des espoirs absolus, dans la mesure où il attend que l'univers entier tourne autour de lui. Il y a un élément de ceci chez tout le monde (« Pourquoi ceci m'arrive-t-il, à moi ? », « Pourquoi ne serais-je pas heureux ? ») qui est ce qui déclenche l'apparition de l'avidité et de la haine névrotiques. C'est ce soi dont on doit se débarrasser, car il est illusoire ; il n'est ni sain ni utile d'essayer de détruire le soi empirique. Pour notre pratique, un meilleur modèle est celui qui implique le raffinement du soi empirique, en le rendant plus positif encore, jusqu'à ce qu'il s'évapore, si l'on peut dire, dans une dimension plus élevée. Associé au soi empirique et réel est un désir sain, ainsi qu'une colère ou une énergie saines qui ne sont ni bonnes ni mauvaises, mais qui se trouvent simplement être le matériau pur, voire brut, que nous devons travailler et transformer en quelque chose de beau. Le soi empirique est aussi nécessaire au bouddhiste que l'argile l'est au potier.
Nous sommes sur un terrain nettement plus sûr si nous ne parlons pas en termes de doctrine classique de l'anatman, mais en termes de croissance. Nous pouvons même parler de « quelque chose » qui croît, et résoudre la métaphysique de ce « quelque chose » plus tard. Au moment approprié nous nous rendrons compte que ce développement de la conscience implique de transcender notre individualité présente, et de faire partie de quelque chose de bien plus grand. Après tout, nous avons la capacité de faire, dans des rêves ou sous l'influence de drogues, l'expérience de dimensions de la conscience qui ne sont guère soupçonnées ou même reconnues par notre moi quotidien ; sans penser à ces analogies comme à l'équivalent d'expériences spirituelles, il ne devrait donc pas être trop difficile d'accepter que notre sens présent d'identité personnelle ne soit pas ultime mais puisse être transcendé.
« De plus, Subhuti, cet endroit de la terre où l'on a pris de ce discours sur le dharma une seule strophe de quatre lignes, où on l'a enseignée ou éclairée, cet endroit de la terre sera un véritable autel pour le monde entier, avec ses dieux, ses hommes et ses Asuras. Que dirions-nous alors de ceux qui garderont la totalité de ce discours à l'esprit, le réciteront, l'étudieront et l'éclaireront à d'autres dans tous ses détails ! Très merveilleusement heureux seront-ils, Subhuti ! Et sur cet endroit de la terre, Subhuti, réside soit le Maître, soit un sage le représentant. »
Le chapitre 11 répète le thème du chapitre 8 : le mérite incalculable provenant de l'exposition de ce sûtra. Le chapitre 12 va plus loin et exalte les vertus de la terre même où ce sûtra est exposé.
Le mot traduit par « autel » est caitya, qui veut littéralement dire quelque chose d'entassé. Peut-être n'était-ce à l'origine guère plus qu'un petit empilement de pierres auquel était attaché quelque chose de sacré, mais le mot vint à s'appliquer à tout objet de vénération, incluant les immeubles, les reliques, les images et les arbres sacrés. De nos jours, en Inde, vous pouvez souvent voir des pierres qui ont été placées au pied de certains arbres. Il y a au total cinq espèces d'arbres considérés comme particulièrement sacrés dans le monde hindou, incluant le banian, le bael (arbre sacré de Shiva) et le pipal ou arbre-bô, appelé Ficus religiosa par les botanistes, mais appelé arbre de la bodhi par les bouddhistes, car c'est alors qu'il était assis sous un tel arbre que le Bouddha atteignit l'Éveil. Ces arbres se trouvent souvent aux abords des villages, cinq d'entre eux formant parfois un groupe, avec des pierres empilées à leur pied. Les gens viennent les consacrer et leur faire des offrandes de fleurs. Il se peut qu'une source de leur caractère sacré, telle une dryade ou une devata vivant dans l'arbre soit rendue explicite, mais le plus souvent il n'y a qu'un sens vague et indistinct de force émanant de cet arbre particulier. Dans les écritures pâlies, de nombreux caityas sont mentionnés, et le Bouddha semble avoir passé de nombreuses et agréables heures ici et là, au milieu d'eux.
Parlant de la stabilité des sociétés, le Bouddha conseilla aux Vajjiens de continuer à faire leurs offrandes à leurs anciens autels. Le fait que les gens cessent de respecter leurs propres traditions et leur propre culture est sûrement un symptôme de déclin culturel général. Tant que les lieux de naissance des grandes figures nationales, ou que les lieux où ils ont vécu et travaillé, ou que d'autres lieux associés à des contributions significatives à la communauté, comme les mémoriaux de guerre, sont maintenus aux frais de la nation en tant que centre d'attention de notre appréciation de grands faits et de grandes œuvres, il reste au moins un vestige de la vitalité culturelle de la communauté nationale.
Que quelque chose de ces grands personnages passe ou non, littéralement, aux alentours immédiats, qu'il y ait quelque vertu ou puissance objective qui s'attache à un lieu sacré, ou que l'atmosphère d'un lieu ne soit qu'une question d'association n'est pas facile à établi. Pour créer un lieu sacré vous choisiriez en tous cas probablement un endroit qui soit déjà propice : c'est pourquoi les églises étaient souvent construites sur les sites d'anciens temples. Il ne fait pas de doute, cependant, que des lieux peuvent développer une atmosphère qui est la leur : c'est certainement le cas suite à la méditation ou aux activités de dévotion qui y prennent place. Et les objets peuvent être affectés de la même façon. Quand je vivais à Highgate, j'avais deux rupas que j'avais rapporté d'Inde, l'un de Sakyamuni, et l'autre de la forme d'Avalokitesvara à quatre bras. Ils se tenaient sur une grande et solide bibliothèque, à un bout de la pièce, et lorsque je travaillais je sentais clairement qu'il y avait là deux personnes, assises derrière moi. Je ne vénérais moi-même pas beaucoup ces images, mais peut-être avaient-elles été l'objet de beaucoup de vénération dans le passé.
J'ai eu une autre confrontation avec un rupa, plus extraordinaire encore, au début des années soixante, alors que je rendais visite à une amie à Bombay. C'était une vieille dame qui était devenue bouddhiste et qui avait accumulé un certain nombre d'images bouddhiques, l'une d'entre-elles étant une petite représentation d'un Bouddha faite de jade semi-translucide. Dès mon arrivée, mon amie me fit asseoir dans un fauteuil bas, face à une fenêtre qui donnait sur la mer d'Arabie et sur le rebord de laquelle se tenait ce rupa vert. Et elle me demanda de lui dire ce que je pouvais voir. De façon évidente, elle était très agitée. Je m'assis donc et je regardai un moment, et enfin je vis, autour de la statue, une sorte d'aura verte. Ce n'était pas un halo circulaire : la statue était bordée d'une bande de lumière verte qui s'étendait graduellement, emplissant toute la pièce d'une vive lumière verte. Bien sûr, je cherchai autour une source de lumière plus directe, un reflet du ciel ou de la mer, peut-être, mais la lumière venait vraiment de la statue, et n'avait rien de délicat ou de subtil. Elle était presque brute, un peu comme un puissant éclairage fluorescent. Après un moment, elle s'éteignit.
Apparemment, les serviteurs chrétiens de mon amie avaient eu très peur de ce phénomène. Mais selon la croyance populaire (quoique non bouddhiste) indienne, la statue est simplement considérée comme étant particulièrement vivante, ou jagrat, « éveillée ». En fait, les bouddhistes Vajrayana, ainsi que les hindous orthodoxes, conduisent des cérémonies « d'établissement de vie » sur des images, coïncidant parfois avec la peinture des yeux, qui est supposée leur donner la vie. Je suppose qu'il est compréhensible qu'un objet sur lequel les pensées de nombreuses personnes se sont concentrées devienne en un sens vivant.
Il semble que c'est ce qui est arrivé aux reliques de Sariputra et de Moggallana, lorsqu'elles furent un jour présentées à plusieurs centaines de milliers de personnes, en Birmanie. Mon vieil ami, Bhikkhu Sangharatana, dit qu'il vit, avec toutes les autres personnes présentes, les reliques, entourées d'arcs-en-ciel, tourner dans leurs petites capsules de verre hermétiquement closes. Lui-même ne considérait pas cela comme quelque chose de surnaturel, l'attribuant à la force de la pensée de si nombreuses personnes. Pour être franc, quand je pris part à l'organisation de réceptions durant leur tournée en Inde, je trouvai que l'atmosphère entourant ces reliques était plus fétichiste et commerciale que strictement spirituelle, même si à un niveau populaire elles créaient une publicité utile pour le bouddhisme.
Tout cela montre que toute activité mentale concentrée peut apparemment produire des effets physiques inhabituels. Il n'y a donc pas de raison pour laquelle cette activité ne puisse pas avoir d'effet sur l'entourage physique, sur l'« endroit de la terre » où cette activité a lieu. Nous avons considéré des effets plutôt éphémères, mais qu'en est-il d'un effet transcendantal ? Le Sûtra du Diamant semble suggérer ici que le transcendantal peut produire des effets (vraisemblablement par l'intermédiaire du corps humain) qui d'un point de vue perceptuel seraient différents, disons, des puissants effets mondains produits par une personne en dhyana.
Il faut aussi dire que tout cela est un exercice de moyens habiles. Les lieux saints deviennent des points de convergence de la piété nationale : en témoignent les pèlerinages à Cantorbéry au Moyen-Age, ou les pèlerinages faits de nos jours à des monuments culturels, comme le lieu de naissance de Shakespeare. Le Bouddha essaye peut-être simplement d'engager une part de cette sorte de piété et de cette sorte de dévotion populaires, sous une forme raffinée et sublimée, pour la cause du Dharma. En disant que la Perfection de la Sagesse a un pouvoir de rendre saint tout endroit où en ont été exposées quelques lignes seulement, il insiste sur sa signification et sa valeur. Ce passage est donc peut-être simplement ce qui est appelé un prasamsa, une sorte de louange hyperbolique qui ne doit pas être prise trop littéralement. Après tout, d'un point de vue strictement spirituel, tous les lieux sont également sacrés. Le sacré ne peut pas réellement être délimité ainsi. Il n'est probablement pas très sain que nous commencions à nous conformer à des normes de bon comportement au sein d'une place consacrée (comme le font les chrétiens dans une église, et comme le font certains bouddhistes dans un temple) afin, simplement, de nous laisser aller une fois que nous en ressortons.
Pourtant, nous nous sentons, la plupart d'entre-nous, poussés à rendre visite aux lieux saints du bouddhisme en Inde, et ce n'est peut-être pas seulement parce que certains des endroits où le Bouddha vécut et enseigna n'ont guère changé depuis l'époque du Bouddha. Il ne s'agit pas seulement de s'approcher du Bouddha en tant que personnage historique. Ces lieux sont, pour nous, des terres saintes.
© 'Wisdom beyond words' Sangharakshita, Windhorse Publications 1993, traduction © Christian Richard 2003.