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La compréhension qu'a Sangharakshita de l'unité du bouddhisme et sa perspective sur la tradition bouddhique trouvèrent une application pratique en 1967, lorsqu'il fonda les Amis de l'Ordre Bouddhiste Occidental (en anglais Friends of the Western Buddhist Order, mouvement depuis renommé Communauté bouddhiste Triratna). Les principes sur lesquels la Communauté Triratna devait être formée lui étaient alors très clairs. Le premier principe, le plus fondamental, était que le nouveau mouvement devait aider les personnes qui le constituaient à aller vers l'Éveil. Les enseignements et les pratiques étaient adoptés parce qu'ils marchaient. Il n'était pas question de continuer simplement, sans réfléchir, ce que faisait une école ou une tradition dans sa forme existante. Utilisant le critère pragmatique du Bouddha pour reconnaître le « message du Maître », Sangharakshita construisit un corps d'enseignement et de pratiques, toujours en développement et toujours changeant, qui satisfaisait aux besoins spirituels de ses disciples. Puisqu'il considérait que la totalité de la tradition bouddhique pouvait probablement contenir des moyens valides d'atteindre l'Éveil, il prit dans chacune de ses parties ce qui était approprié au présent. Ce n'était pas un simple éclectisme, dans le sens de sélection selon un système préconçu et rationnellement déduit. Ce n'était pas non plus une question de préférence ou de fantaisie personnelle. Les enseignements et les pratiques étaient incorporés parce qu'ils répondaient aux véritables besoins spirituels de ses disciples.
Il n'était clairement pas possible d'adopter tous les enseignements de toutes les écoles du bouddhisme. Même dans une seule école, il y beaucoup plus de matériel que ce dont une seule personne peut utilement tirer parti. Il doit y avoir une sélection, une sélection basée sur des besoins spirituels réels. En fait, comme le fait remarquer Sangharakshita,
En choisissant des éléments doctrinaux et des pratiques provenant de plus d'une tradition bouddhique orientale, la Communauté bouddhiste Triratna ne fait rien de plus, en principe, que ce que les bouddhistes orientaux individuels ou les groupes de bouddhistes orientaux font dans le cas de leur propre tradition. Alors qu'en principe il accepte la tradition du Théravâda dans sa totalité, un moine du Théravâda de Sri-Lanka, par exemple, ne se familiarisera pas avec toutes les doctrines (…) pas plus qu'il ne pratiquera toutes les quarante méthodes de méditation (khammatthâna) décrites dans le Visuddhimagga.
Il y avait cependant un point de départ clair. Sangharakshita voyait la tradition bouddhique comme faite d'élaborations et d'explications des principes essentiels contenus dans l'enseignement originel du Bouddha. Il retira donc son corpus principal de matériel du noyau de doctrines qu'il appelait le « bouddhisme de base ». Il considérait en fait qu'un approfondissement toujours plus grand de la pratique de ces enseignements fondamentaux pouvait subvenir à la plupart des besoins spirituels de ses disciples. Il recommanda à ses disciples la maxime « Toujours plus de moins », c'est-à-dire,
notre principe d'essayer d'aller de plus en plus profondément dans ce que l'on appelle les enseignements de base du bouddhisme, plutôt que d'essayer de se hâter vers des enseignements censés être plus avancés.
L'accent porté sur les enseignements de base assure aussi l'« orthodoxie » du nouveau mouvement. Toutes les innovations ou les importations d'autres sources peuvent être testées à l'aune des enseignements qui incarnent l'expression du Dharma faite par le Bouddha même. Ainsi, bien que la Communauté bouddhiste Triratna n'adhère à aucune des écoles traditionnelles du bouddhisme, Sangharakshita a garanti qu'elle est entièrement traditionnelle. Elle est basée sur la propre expérience Éveillée du Bouddha et suit aussi complètement qu'elle le peut l'esprit de son enseignement.
Le mouvement que Sangharakshita a créé est un témoignage vivant de l'unité du bouddhisme. Il tire son inspiration de la plupart des sources bouddhiques.
En ce qui concerne la méditation, par exemple, nous enseignons l'« attention à la respiration » et le metta-bhavana, le « développement de la bienveillance », qui proviennent de la tradition du Théravâda. Nous récitons la puja en sept parties, qui vient de la tradition du Mahâyâna indien. Nous chantons des mantras provenant de la tradition tibétaine. Et il y a bien sûr l'accent que nous portons sur l'importance du travail dans la vie spirituelle, chose sur laquelle le zen insiste de façon caractéristique.
Sangharakshita ne s'est cependant pas limité à des enseignements et à des pratiques déjà existants. Une réponse aux besoins spirituels de ses disciples provient d'aspects de la vie spirituelle qui n'ont pas complètement été explorés auparavant.
Naturellement, nous avons aussi certains accents que l'on ne trouve dans aucune forme de bouddhisme existante : notre accent sur les moyens d'existence justes, par exemple, ou sur l'Aller en Refuge, et sur « Toujours plus de moins ».
A côté de ces accents spécifiquement bouddhiques, Sangharakshita a abordé divers enseignements et pratiques non-bouddhiques. Il a par exemple animé un séminaire d'étude sur un texte islamique, Les devoirs de la fraternité dans l'Islam, par Al-Ghazali, qui a été source d'une grande inspiration sur le thème de l'amitié. Il a encouragé la pratique du t'ai chi ch'uan, du hatha yoga, du karaté et d'autres arts martiaux en tant que moyens « indirects » de développement - « indirects » parce qu'œuvrant indirectement sur l'esprit pour élever le niveau de conscience, ce qui les distingue de la méditation, laquelle œuvre directement. L'art et la littérature occidentaux n'ont pas non plus été négligés. Sangharakshita en a fortement recommandé l'appréciation, en partie pour élever la conscience grâce à l'expérience esthétique et en partie pour fournir des exemples des principes du Dharma provenant de la culture occidentale.
Quoique Sangharakshita soit volontairement non-sectaire, il n'est pas sans critiquer certains aspects de la tradition bouddhique et de ses représentants modernes. Il affirme qu'une approche non-sectaire qui reconnaisse l'unité du bouddhisme n'implique pas une acceptation inconditionnelle de tout enseignement, pratique ou institution qualifiée ou se qualifiant de bouddhique.
Il ne faut jamais oublier que, pour quelqu'un prêchant le Dharma, révéler la vérité et dissiper l'erreur sont les aspects positif et négatif d'un seul processus, et l'histoire de la pensée bouddhique témoigne non seulement de l'énergie avec laquelle le message du Maître a été propagé, mais aussi de la vigueur avec laquelle des doctrines contradictoires ont été opposées.
Dès ses premiers temps en Inde, il s'est élevé contre ce qu'il considère être la littéralité à l'esprit étroit du Théravâda. Plus tard, il vit et fit remarquer diverses faiblesses dans le bouddhisme tibétain et dans d'autres formes de bouddhisme. Il regarde d'un œil critique la scène bouddhique moderne, attirant ouvertement l'attention sur ce qu'il considère être des échecs, tout en louant ce qui doit l'être. Sangharakshita considère que dans beaucoup de groupes bouddhistes modernes il y a une assez grande confusion, et même une distorsion du Dharma. Il considère qu'il est de son devoir de le faire remarquer, espérant éveiller ceux qui son confus à leur état et alerter les autres avant qu'ils ne deviennent aussi victimes.
Naturellement, Sangharakshita ne considère pas que la Communauté bouddhiste Triratna fasse le tour de toutes les formes que le Dharma puisse prendre à l'âge moderne. La Communauté bouddhiste Triratna elle-même est constamment en changement et en développement, et d'autres groupes explorent eux aussi d'autres modes d'expression du Dharma. Cela veut dire que Sangharakshita est ouvert à l'amitié avec tout bouddhiste essayant de vivre sincèrement la vie bouddhique - bien qu'il insiste sur le fait que le contact ne doive pas être un simple contact « officiel » entre des représentants d'organisations.
En ce qui concerne la relation de l'Ordre [bouddhiste Triratna] avec le reste du monde bouddhique, laissez-moi simplement observer que c'est une relation qui subsiste essentiellement avec des personnes, et que (…) nous sommes heureux d'étendre la main de l'amitié à tous les bouddhistes pour qui l'engagement est primordial et le mode de vie vient en second, et qui, comme nous, vont en refuge dans le Bouddha, le Dharma et la Sangha.
‘Sangharakshita, A New Voice in the Buddhist Tradition’ © Subhuti, 1994, traduction © Christian Richard, 2010.