Au début du chapitre onze la scène change. Nous ne sommes plus dans l'espace rempli de trônes de la maison de Vimalakirti, mais de retour dans le beau jardin d'Amrapali, avec le Bouddha, Ananda et le reste de l'assemblée, et le Bouddha bien sûr, enseigne le dharma. Et tandis qu'il enseigne le dharma, au début de ce chapitre, le jardin devient de plus en plus grand. Non seulement cela, mais toute l'assemblée est envahie par une magnifique lumière dorée et Ananda est plutôt surpris. Il demande au Bouddha ce que cela veut dire. Et le Bouddha lui répond que cela veut dire que Vimalakirti et Manjusri arrivent, ils sont en route, ils arrivent avec une grande multitude et, quelques secondes plus tard ils arrivent tous. En fait Vimalakirti transporte magiquement toute l'assemblée, trônes y compris et Ananda, après leur arrivée, remarque le parfum et demande au Bouddha d'où il vient. Le bouddha dit qu'il s'émane des pores de tous les bodhisattva. Sariputra se dépêche d'ajouter qu'il s'émane de leurs pores aussi - des pores des arahant - et il explique ce qui s'est passé. Il dit :
« Vimalakirti a obtenu de la nourriture d'une terre pure appelée « Doucement parfumée par tous les parfums » et le parfum s'émane des corps de tous ceux qui prirent de cette nourriture. »
Il s'ensuit une conversation entre Ananda et Vimalakirti à propos de parfum en général, à propos de nourriture. Et Ananda dit alors au bouddha :
« Seigneur, il est merveilleux que cette nourriture accomplisse le travail du Bouddha »
et le Bouddha répond, dans un passage très important. Il dit :
« C'est ainsi Ananda ! C'est comme tu le dis Ananda ! Il y a des champs de bouddha qui accomplissent le travail de bouddha au moyen de bodhisattva ; ceux qui le font au moyen de lumières ; ceux qui le font au moyen de l'arbre de l'éveil ; ceux qui le font au moyen de la beauté physique et des marques du Tathagata. Ceux qui le font au moyen d'habit religieux ; ceux qui le font au moyen de nourriture ; ceux qui le font au moyen de l'eau ; ceux qui le font au moyen de jardins ; ceux qui le font au moyen de palais ; ceux qui le font au moyen de manoirs ; ceux qui le font au moyen d'incarnations magiques ; ceux qui le font au moyen d'espaces vides ; et ceux qui le font au moyen de lumière dans le ciel. Pourquoi est-ce ainsi Ananda ? Parce que les êtres sensibles sont disciplinés grâce à ces moyens variés. De la même façon Ananda, il y a des champs de bouddha qui accomplissent le travail de bouddha en enseignant aux êtres sensibles des mots, des définitions, des exemples, tels que « rêves », « images », « le reflet de la lune dans l'eau », « échos », « illusions » et « mirages » ; et ceux qui accomplissent le travail de bouddha en rendant les mots compréhensibles. Aussi Ananda, il y a des champs de bouddha complètement purs qui accomplissent le travail de bouddha pour les êtres sensibles sans la parole, par le silence, l'inexprimable et le non-enseignable. Ananda, parmi toutes les activités, tous les plaisirs et pratiques des bouddhas, il n'y en a aucun qui n'accomplisse le travail de bouddha car ils disciplinent tous les êtres sensibles. Finalement, Ananda, les bouddhas accomplissent le travail de bouddha au moyen des quatre Mara et des 84.000 types de passion qui affligent les êtres sensibles. »
Le Bouddha poursuit en parlant de sujets différents et conclut en parlant de la leçon du destructible et de l'indestructible, qui donne an chapitre son titre. Mais ce qui nous intéresse maintenant est le passage que j'ai cité. Que dit-il dans ce passage ? Il va bien plus loin que nous ne sommes allés jusqu'à présent. Il dit qu'il y a beaucoup de moyens de communication, autres que les mots et le langage. Il dit qu'il est possible de communiquer à travers des bodhisattva ; c'est peut-être ce que fait Vimalakirti en envoyant ce bodhisattva émané doré. Il est possible de communiquer à travers des lumières, à travers l'arbre de la bodhi. Ce qui nous rappelle l'art indien à ses débuts, qui représentait par exemple, le bouddha au moment de l'éveil sans la silhouette humaine du bouddha, mais ne montrant que l'arbre de la bodhi. L'arbre de la bodhi communiquait le fait le bouddha était là. Cela peut ne pas être un exemple de ce dont le bouddha voulait parler mais cela est sans doute en relation avec. Il est possible dit le bouddha, de communiquer au moyen d'habits, de nourriture, d'eau, de jardins, d'incarnations magiques, d'espace vide, de lumières dans le ciel, de silence. Et Vimalakirti fait cela même, comme nous l'avons vu.
Il y a donc tous ces autres moyens de communication, il n'y en a que quelques-uns qui nous sont familiers. Mots et langages ne sont pas les seuls moyens de communication et nous devons nous rappeler ceci, par ce que nous avons une tendance à trop dépendre des mots et du langage, en occident du moins. Cette tendance n'est peut-être pas si prononcée en orient ou en Afrique, mais je ne veux pas généraliser avec trop d'assurance. Nous pensons trop souvent que nous ne nous sommes pas réellement exprimés si nous n'avons pas tout mis en mots, si nous n'avons pas tout épelé dans tous les détails, verbalement. Les gens éduqués sont peut-être tout particulièrement sujets à ce vice. Je ne suggère pas nous ne devrions pas bien nous exprimer. Bafouiller n'est pas une vertu. Bafouiller n'est pas un moyen de communication. Je ne suggère pas de ne pas nous exprimer clairement et correctement. Bien sûr qu'il faut le faire. Mais nous ne devrions pas penser que par ce que quelque chose a été mis en mots, cela a été nécessairement complètement exprimé. Nous ne devrions pas penser qu'il n'y a pas d'autres moyens de communication.
Assez souvent en fait, nous ne nous reposons pas entièrement sur les mots, bien que nous ne soyons pas toujours conscients du fait. Comme vous le savez nous avons de temps en temps des séminaires d'étude qui sont enregistrés sur cassettes puis transcrits, et ces transcriptions sont révisées par moi. Je les compare souvent avec l'enregistrement, et la première fois je fus assez surpris de remarquer qu'il il y avait une grande différence entre les mots frappés sur les pages des transcriptions et les enregistrements. Toute une dimension manquait aux transcriptions. Dans le cas des enregistrements il y avait en plus des mots, leur ton, leur rythme, leur tonalité, et tout cela faisait partie de ce que celui qui parlait voulait exprimer. Supposons que les séminaires aient été filmés. Il y aurait eu en plus l'apparence de ceux qui parlaient, leurs gestes, leurs expressions etc., nous aurions eu une impression encore meilleure de ce que les gens avaient réellement dit, du sens de ce qu'ils voulaient réellement communiquer. Dans les écritures bouddhiques aussi nous n'avons souvent que les mots du Bouddha. Nous n'avons pas le ton de sa voix, nous n'avons pas son expression alors qu'il disait quelque chose. Nous n'avons pas le Bouddha lui-même parlant, nous n'avons que les mots et cela fait certainement une grande différence. Et ceci m'amène à un point important sur lequel je vais commencer à conclure.
Les moyens de communication ne sont pas juste des alternatives. C'est-à-dire que nous ne pouvons pas nous exprimer également bien à travers tous les moyens. Plus nous avons de moyens de communication à notre disposition mieux ça vaut. Apprenons donc à communiquer en terme de parfums, apprenons à communiquer en terme de silence, apprenons à communiquer en terme de lumière dans le ciel. Il a été dit que quand nous apprenons un nouveau langage, nous acquérons une nouvelle âme. Nous pouvons dire des choses que nous ne pouvions pas dire auparavant. Je sais de ma propre expérience, qu'il y a des choses que je peux dire en hindi que je ne peux dire en anglais. Certains langages sont plus appropriés que d'autres à certains besoins.
Il y a l'histoire bien connue de l'empereur Charles V, empereur de l'empire romain au XVIe siècle. On lui demanda une fois paraît-il, quelle langue il parlait habituellement, et il répondit que quand il parlait à ses courtiers, il parlait en français ; quand il parlait à sa maîtresse, il parlait en italien ; quand il parlait à Dieu, qu'il priait, il parlait en espagnol et quand il parlait à son cheval, il parlait en allemand. L'allemand n'était pas alors une langue très cultivée apparemment, ou peut-être étaient-ce les chevaux qui ne l'étaient pas ! C'est pareil dans le cas d'autres moyens de communication. Nous pouvons dire des choses que nous ne pouvions pas dire auparavant. Nous ne sommes pas simplement capables de dire la même chose d'une façon différente, nous devenons capables de dire des choses différentes. C'est comme acquérir un nouveau sens. Et ce sens supplémentaire en plus nous révèle d'avantage de l'univers. Il est bien connu que nos perceptions sont très limitées, nos perceptions physiques. L'œil ne peut percevoir que certaines couleurs. Les oreilles ne percevoir qu'un éventail de sons très étroit. Nos narines ne percevoir que très peu d'odeurs. Il en est de même pour nos perceptions mentales, c'est-à-dire les perceptions de notre esprit conscient ordinaire. Elles aussi sont très limitées et de toute façon, elles fonctionnent entièrement dans le schéma général déformé de la relation sujet-objet. Il est donc important que nous acquérions de nouveaux sens, pour ainsi dire. Il est important que nous acquérions des nouveaux moyens de communication, des moyens de plus. Il est important que nous élargissions de beaucoup tout l'éventail et la portée de notre être et de notre conscience. Le mystère de la communication humaine est peut-être encore plus grand que nous le pensions.
'The Inconceivable Emancipation - Themes from the Vimilakirti Nirdesa', © Sangharakshita, 1990, traduction © Centre Bouddhiste Triratna, 2002