Je vais aborder le sujet sous trois rubriques :
D'abord les parfums en général. On pourrait en dire beaucoup à ce sujet mais je dois être bref. Le parfum est une sorte d'odeur, une sorte de senteur, mais qu'est-ce qu'une odeur ? Nous avons cinq sens physiques : la vue, l'ouie, l'odorat, le goût et le toucher. Chacun est associé à un organe sensoriel particulier. L'odorat est bien sûr, associé au nez ou plutôt, associé aux nerfs olfactifs dont les terminaisons sont à l'intérieur des narines. De la même façon chaque sens est connecté à une sorte particulière d'objet des sens. La vue est connectée à la forme - rupa, c'est-à-dire forme et couleur. L'oreille est connectée avec les sons et l'odorat avec les odeurs. Quand un organe sensoriel et un objet des sens entrent en contact l'un avec l'autre, la conscience sensorielle appropriée ou « vijnana » apparaît. C'est-à-dire la vue, l'ouie, l'odorat, le goût et le toucher apparaissent, si bien sûr, les sens ne sont pas déficients.
Dans le cas de l'odorat, nous remarquons quelque chose d'assez curieux. Il n'est pas nécessaire d'avoir un contact direct avec l'organe des sens et l'objet des sens. Entre le nez et un jardin de roses lointain par exemple, que se passe-t-il ? La rose du jardin lointain émet des milliers, voire des millions de particules minuscules et invisibles, et certaines de ces particules entrent dans nos narines et en contact avec les terminaisons du nerf olfactif, alors nous avons l'expérience de ce que nous appelons sentir. Nous disons sentir la rose. Nous verrons la signification de ceci un peu plus loin. Nous avons cinq sens mais ils ne sont pas tous également développés. La vue et l'ouie sont les plus développés chez l'être humain. Il y a peut-être une explication à ceci en termes de l'évolution biologique de l'homme. Ses autres sens sont moins développés et l'odorat est peut-être le moins développé de tous. L'homme est très différent, de ce point de vue, de certains autres animaux. L'odorat d'un chien, par exemple, est très bien développé, peut-être plus que ne le sont tous ses autres sens. Il est dit qu'un chien en fait, fait l'expérience du monde bien différemment de nous, et il vit donc dans un monde bien différent du nôtre. Le chien vit dans un monde d'odeurs. Quand un chien met le nez dehors, que se passe-t-il ? Il fait l'expérience de centaines d'odeurs différentes venant de toutes les directions. Et toutes ces odeurs sont bien vivides et distinctes l'une de l'autre. Elles veulent toutes dire quelque chose pour lui. Pas étonnant que le chien soit excité ! Certains êtres humains ont un sens de l'odorat plus développé que d'autres bien sûr, mais pas au même point que chez le chien ou d'autres animaux.
Tous les êtres humains normaux, cependant, sont capables de distinguer entre une odeur et une autre, du moins dans un registre de perceptions limité. En particulier, ils sont capables de distinguer entre ce que nous appelons une bonne odeur et une mauvaise odeur, capable de distinguer entre parfum et puanteur ! Ceci a conduit à la fabrication de toutes sortes d'odeur artificielles, qui sont utilisées de façons variées. Elles sont utilisées dans notre vie sociale, c'est-à-dire quand nous voulons nous rendre plus attirant, ou moins repoussant pour les autres gens. Elles sont aussi utilisées dans la vie religieuse, quand nous voulons créer une atmosphère psychologique particulière, et ceci suggère une connexion bien précise entre certaines odeurs et certains états mentaux et affectifs. Autant que je sache, il n'y a jamais eu d'investigation systématique du sujet, mais il est intéressant que dans toute les religions, une sorte d'encens ou une autre soit utilisée dans le contexte de certaines cérémonies ou certaines observances.
Mais il est temps de passer à notre rubrique suivante : le symbolisme du parfum.
Comme je l'ai dit, l'expérience de l'odeur dépend de la transmission de minuscules particules invisibles aux terminaisons du nerf olfactif. Odeur, senteur, parfum, est donc chose extrêmement subtile. Nous ne pouvons pas le voir, nous ne pouvons pas l'entendre. Pourtant, c'est bien définitivement là. Le parfum peut donc être symbole. Un symbole de quelque chose de très subtil, très délicat, quelque chose de très intangible, pourtant quelque chose qui est bien définitivement là, qui peut être perçu, qui peut produire certains effets, qui peut nous affecter même à distance. Il peut être un symbole pour une influence très subtile, une émanation très subtile. Et quelle est la plus subtile de toutes les influences, la plus subtile de toutes les émanations ? La plus difficile à percevoir, pourtant en un sens, toujours présente, comme des ondes de radio dans l'air ? Selon le Mahayana, c'est l'influence des bouddhas et des bodhisattva. L'influence de l'éveil ou, métaphysiquement parlant, l'influence de l'absolu. Et comment appelle-t-on cette influence ? L'influence des bouddhas et des bodhisattva ? L'influence de l'éveil ? On l'appelle compassion ou, plus exactement, « Grande Compassion ». Cette « Grande Compassion » n'est pas juste une émotion individuelle, aussi élevée soit-elle. C'est une sorte d'émanation transcendantale, pourrait-on dire, de la réalité transcendantale même. C'est-à-dire de cette réalité avec laquelle les bouddhas et les grands bodhisattva ne font qu'un, pour ainsi dire. Dans le langage mythique du Vimalakirti Nirdesa, cette réalité est appelée « Amrita ». C'est un symbole très concret : ambroisie, ou nectar de l'immortalité et cette d'ambroisie est parfumée, parfumée par la « Grande Compassion ». Vimalakirti dit donc à Sariputra et aux grands disciples quand il leur donne l'ambroisie : « Révérends, prenez de la nourriture du Tathagata, c'est de l'ambroisie, parfumée par la Grande Compassion ».
Dans la terre pure appelée « Doucement parfumée par tous les parfums », Sugandhakuta et les bodhisattva se régalent régulièrement d'ambroisie ; c'est-à-dire qu'ils se repaissent de réalité ; vivent de réalité ; sont nourris par la réalité ; et donc ils sont envahis par l'émanation de la réalité, imprégnés par l'influence de la réalité, c'est-à-dire imprégnés par le parfum de la compassion. Toute cette terre pure en fait, est envahie par elle. Tout dans cette terre pure est fait d'elle, fait de compassion, fait de parfum. Le texte dit :
« dans cet univers toutes les maisons, les avenues, les parcs et les palais sont faits de divers parfums. »
C'est-à-dire qu'ils sont faits d'influences spirituelles, sont faits d'influences transcendantales, d'émanations transcendantales, sont faits de compassion. Cette terre pure est une terre, un univers d'influences purement spirituelles, purement transcendantales.
Le pouvoir, dans le sens de quelque chose qui force, n'y existe pas, même sous ses formes les plus subtiles. On peut donc commencer à comprendre un peu ce que signifie l'action de Vimalakirti, rapportant la nourriture, l'ambroisie de cette terre pure. Commencer à comprendre un peu de la signification du fait que la senteur de cette nourriture imprègne, envahisse toute la grande ville de Vaisali, imprègne et envahisse une centaine d'univers. Commencer à comprendre la nature de l'effet qu'elle a sur les gens de Vaisali, mais nous n'avons pas le temps d'élaborer tout cela maintenant. Nous sommes simplement concernés par le symbolisme du parfum, par le parfum en tant que symbole de l'influence de la réalité transcendantale, pour parler ainsi.
'The Inconceivable Emancipation - Themes from the Vimilakirti Nirdesa', © Sangharakshita, 1990, traduction © Centre Bouddhiste Triratna, 2002