Nous trouvons ce même symbolisme dans un texte important et de grande influence historique du bouddhisme d'extrême Orient, appelé « L'éveil de la foi dans le Mahayana ». Le Mahayana dans ce cas, voulant dire approximativement, « grand principe » et pas seulement une forme de bouddhisme particulière. L'éveil de la foi dans le Mahayana n'est pas un soutra, pas un discours du bouddha, ou représenté comme tel, mais un sastra, c'est-à-dire attribué à un grand maître bouddhiste postérieur au bouddha. Dans ce cas le maître est Asvaghosa. Seule la traduction chinoise du texte a survécu et, d'après certains érudits, il fut en fait écrit, composé en Chine. « L'éveil de la foi dans le Mahayana » parle de la réalité ultime comme « Tathata » ou « Bhuta-tathata ». Tathata veut dire simplement « ainsité ». Bhuta-tathata est « l'ainsité des choses ». La réalité ultime est « telle qu'elle est ». Elle ne peut être décrite. Si vous demander ce qu'est la réalité, ce qu'est l'absolu, ce qu'est l'ultime, c'est « tel qu'il est » ! Vous pouvez seulement dire qu'il est caractérisé par l'ainsité ou tel qu'il est, il ne peut être décrit. Donc « L'éveil de la foi dans le Mahayana » parle de la réalité ultime comme Tathata ou Bhuta-tathata, ainsité, l'ainsité des choses. Et le texte dit de cette réalité ultime, cette Tathata, qu'elle parfume l'existence conditionnée. C'est-à-dire que quelque chose d'elle « adhère » pour ainsi dire, à l'existence conditionnée. Quelques « particules » infinitésimalement minuscules, encore une fois pour parler ainsi, sont transmises et il nous est donc possible de percevoir la réalité ultime, aussi faiblement ce que ce soit, au milieu de l'existence conditionnée. Et, la percevant, il nous est possible de nous efforcer de l'atteindre. Non seulement ça. Selon « L'éveil de la foi dans le Mahayana », non seulement la réalité ultime parfume-t-elle l'existence conditionnée, mais l'existence conditionnée « parfume » (si c'est le bon mot !) la réalité ultime. Parce qu'elle est « parfumée » par l'existence conditionnée, la réalité ultime manifeste la compassion. La compassion est sa réponse. Ceci est une conception très profonde mais, encore une fois, nous n'avons pas le temps de nous attarder sur ce sujet. Comme je l'ai déjà dit, le parfum est un symbole très approprié pour la grande portée de l'influence de la réalité ultime, pour la « Grande Compassion » parce que ce genre d'influence est très très subtil, très très délicat, et nous le savons peut-être, d'après notre propre expérience, même de façon de limitée, particulièrement si nous pratiquons la méditation. Il peut arriver que nous percevions, que nous prenions conscience, de quelque chose que nous ne pouvons pas d'écrire, quelque chose que nous ne pouvons pas définir, quelque chose que l'on ne peut pas mettre dans nos catégories mondaines, et en même temps cela n'a rien de vague ni de brumeux. C'est intensément vivide, intensément réel, comme un étrange parfum. Comme le parfum de quelque fleur inconnue. Une fleur d'une espèce botanique inconnue. On pourrait dire que c'est le parfum du lotus à mille pétales même, le lotus qui fleurit dans la terre pure, le lotus qui est identique à l'ambroisie.
Que nous puissions avoir ce genre d'expérience veut dire deux choses. D'abord, tout comme nous ne pouvons percevoir les odeurs que parce que nous avons un organe du sens de l'odorat, de la même manière nous ne pouvons percevoir le parfum, le subtil parfum de la réalité ultime, que parce que nous avons en nous un genre de sens transcendantal, que parce que nous avons en nous quelque chose qui a une affinité avec le transcendantal, quelque chose comme le transcendantal, quelque chose à laquelle les « particules » du transcendantal peuvent être transmises. C'est ce que le Mahayana appelle de façon générale « Tathagata-Dhatu », c'est-à-dire l'élément de bouddhéité.
La deuxième chose qui s'ensuit est que ce sens transcendantal peut être développé. Il peut être rendu plus sensible et plus raffiné, à un tel point qu'il peut finalement nous dire d'où vient le parfum et dans quelle direction aller pour trouver sa source.
Passons à la troisième et dernière rubrique : le parfum comme moyen de communication. Tout a une odeur, toute chose organique. La végétation a une odeur. J'ai eu l'occasion de remarquer récemment l'odeur épicée de la brousse en Nouvelle-Zélande, très douce et en même temps forte et rafraîchissante, stimulante même, bien différente de tout ce dont on peut faire l'expérience en Angleterre. Le charbon a une odeur, la nourriture a une odeur, les gens ont une odeur. Point sensible dont nous ne nous sommes pas censés parler. Les femmes ont une odeur différente des hommes. Les enfants une odeur différente des adultes ; les très jeunes gens une odeur différente des très vieilles personnes. Des gens d'une partie du monde une odeur différente de ceux d'une autre partie. Chaque individu en fait a son odeur naturelle distincte. Les chiens reconnaissent ceci, l'être humain le peut aussi. L'odeur naturelle particulière à chaque individu dépend de plusieurs facteurs. Elle dépend par exemple du type de nourriture qu'il mange. Si vous êtes végétarien vous sentez bien différemment que si vous êtes un être humain carnivore. Mes amis indiens végétariens me disent qu'ils ne peuvent se tenir trop près des occidentaux parfois, à cause de leur odeur, de l'odeur de la viande qu'ils ont mangée. Un autre facteur est l'âge, l'état de santé physique. On dit parfois que l'on peut sentir la maladie. Et il y a aussi une expression « l'odeur de la mort ». Je suis sûr que certains d'entre vous ont fait l'expérience de ceci, vous pouvez sentir quand la mort arrive, vous pouvez sentir quand quelqu'un va mourir. Je ne veux pas dire dans un accident mais d'une maladie ou de vieillesse ou quelque chose de ce genre.
Mais du point de vue de la communication humaine, le facteur le plus important est l'état d'esprit, ou plutôt les émotions, parce que les émotions provoquent toutes sortes de réactions physiques. Je ne veux pas suggérer une sorte de dualisme corps-esprit, les deux sont probablement des aspects d'un seul processus, mais la réaction physique provoque des sécrétions glandulaires variées, et celles-ci ont une odeur particulière. Par exemple il y a l'odeur de la peur, l'odeur de l'anxiété, qui peuvent être perçues non seulement par les animaux mais par des êtres humains ordinaires.
Nous n'avons pas souvent l'occasion de parler en termes de l'odeur d'émotions plus positives. Probablement parce qu'elles sont moins puissamment développées, et moins acres. Il est cependant bien connu qu'un parfum similaire à celui des roses ou du jasmin est perçu parfois en connexion avec la méditation, non seulement par la personne qui médite elle-même mais par d'autres personnes dans la pièce. Nous ne devrions donc pas être surpris que le parfum puisse être un moyen de communication. Nous ne devrions pas être surpris que le bouddha Sugandhakuta n'enseigne pas le dharma à travers sons et langage mais qu'il discipline les bodhisattva au moyen de parfums. On pourrait objecter que ce genre de communication prend place à un niveau spirituel très élevé, en fait au niveau transcendantal même. Là, le parfum est le moyen de communication entre bouddha et bodhisattva, il pourrait donc paraître que ceci n'est pas tellement applicable à la communication humaine ordinaire, et c'est cela après tout le thème apparent aujourd'hui : le mystère de la communication humaine. Quelques remarques donc. Les bouddhas et bodhisattva sont des êtres humains, ils sont des êtres humains éveillés ou partiellement éveillés et leur communication, aussi subtile soit-elle, est une forme de communication humaine et, en tant que telle, elle peut être développée par nous aussi. Qui plus est, la signification du parfum comme moyen de communication illustre aussi quelque chose. Nous avons tendance à présumer que, comme étant entre les êtres humains, la communication n'est possible qu'en termes de mots et de langage, cela nous fait donc un choc d'entendre Vimalakirti dire que le bouddha n'enseigne pas au moyen de sons et de langage. Nous ne pouvons sans doute nous empêcher de nous demander comment peut-il bien enseigner alors, et sommes peut-être encore plus choqués d'apprendre qu'il ne discipline les bodhisattva qu'au moyen de parfums. Le parfum est un moyen de communication alternatif. C'est là le point important. Le point important est que d'autres moyens de communication sont aussi possibles. Il n'y a pas que mots et langage. Et ceci nous amène au chapitre onze du Vimalakirti Nirdesa qui a pour titre « Leçons du destructible et de l'indestructible ».
'The Inconceivable Emancipation - Themes from the Vimilakirti Nirdesa', © Sangharakshita, 1990, traduction © Centre Bouddhiste Triratna, 2002