Qu'est ce que cela veut dire alors ? En quelques mots, cela veut dire que l'on ne devrait pas se fier à l'autorité. Mais qu'est ce que l'autorité ? Il y a l'autorité naturelle et l'autorité artificielle. On ne devrait pas se fier à l'autorité artificielle. Qu'est ce que cela veut dire ? Laissez moi vous donner un exemple. Supposez que un nouveau maître spirituel soit attendu de l'orient, du Tibet mystique peut être, ou du Japon, ou peut être de l'Inde mystérieuse. Avant qu'il arrive, il y a une grande propagande. Des affiches partout avec sa photo. Quelqu'un nous dit, retenant son souffle, qu'il s'agit d'un très grand maître, un très grand gourou, qu'il est en fait éveillé. Et selon la tradition à laquelle il appartient, on peut nous dire qu'il est une incarnation d'un dieu, ou l'incarnation de dieu, voir même dieu... dieu, tout simplement ! Ou bien, on peut nous dire qu'il est la énième réincarnation de quelque grande personnalité spirituelle du passé. Ou on peut nous dire qu'il est à la tête d'une énorme organisation, qu'il a des milliers, des millions même d'adeptes, qu'il possède toute sorte de merveilleux secrets spirituels ésotériques. Et finalement, le grand homme arrive et une grande rencontre est organisée pour le recevoir. Bien sûr, vous ne pouvez pas l'approcher. Peut être l'apercevez-vous de loin ; vous entendez peut être ce qu'il a à dire. C'est généralement assez banal, mais vous êtes terriblement impressionné. Vous croyez chaque mot, acceptez chaque mot, vous vous accrochez à chaque mot : après tout, c'est un maître éveillé qui parle. C'est même dieu qui parle (il y a même un livre d'une de ces personnes, que j'ai lu, qui s'intitule « dieu parlant »).
Après quelques jours il s'envole vers une autre capitale, une autre réception. Et vous, vous devenez membre du groupe local qui a été créé en son nom, vous êtes enrôlé en tant que disciple. Bon, j'ai peut être exagéré un peu, mais pas tant que ça. Ces dernières années, à Londres, nous avons vu ce genre de chose se passer presque exactement comme je l'ai décrit. Et qu'est ce que cela veut dire ? Cela veut dire que les gens se fient à l'autorité, se fient à une personne, non au dharma. Après tout, dans la plupart des cas, ils ne rencontrent pas le nouveau maître spirituel. Ils n'apprennent pas à le connaître personnellement. Ils n'entrent pas en communication avec lui. Ils le voient seulement, assis là, sur son trône, entouré d'un halo (d'ampoules électriques). Ils ne font que croire ce qui est dit de lui. Ou dans certains cas, ce qu'il prétend être lui-même. Quand les gens prétendent ce genre de chose, on peut être sûr qu'ils essayent de nous impressionner, qu'ils essayent d'avoir du pouvoir sur nous. En dépit de la façade pseudo spirituelle ou pseudo religieuse, ce qu'ils font n'a donc aucune connexion réelle avec la vie spirituelle. Ils ne sont pas eux-mêmes des enseignants spirituels. Ce qui les importe est de la politique : ce sont des politiciens. Ils ne sont en fin de compte intéressés que par deux choses : le pouvoir et l'argent. Je ne dis en aucun cas qu'il n'y a pas d'enseignants spirituels en orient et qu'ils ne viennent pas en occident. Je ne dis en aucun cas que l'on ne devrait pas montrer à ceux qui viennent le respect qui leur est dû.
Mais je dis que les vrais enseignants spirituels ne s'affirment pas de la sorte et ne laissent pas ce genre de prétention se répandre à leur sujet. Ils ne cherchent pas à impressionner, ils ne cherchent pas le pouvoir. J'en parle avec vigueur parce que dans certains milieux, tout laisse à penser que les grandes traditions orientales sont utilisées pour escroquer les gens ; il y a des signes qui indiquent que les gens sont tout simplement exploités. Ils sont exploités parce qu'ils sont insécurisés, parce qu'ils ne savent pas quoi faire, parce qu'ils veulent qu'on leur dise ce qu'ils doivent faire, que quelqu'un d'autoritaire le leur dise. Cette base fiable vient donc à point : on devrait se fier au dharma, non à une personne, quelque qu'elle soit. On devrait se fier au dharma, non à des prétentions. On devrait se fier au dharma, non au pouvoir. On devrait se fier au dharma, non à l'autorité. On devrait se fier au dharma qui est véritablement incarné dans la vie d'amis spirituels, des amis avec lesquels nous sommes en contact véritable, en communication véritable : c'est bien plus réel, bien plus bénéfique au développement de l'individu.
Deuxièmement : on devrait se fier au sens, non à l'expression. Avant de considérer ce point, je voudrais éclaircir quelque chose.
J'ai dit que l'on devrait se fier au dharma qui est véritablement incarné dans la vie d'amis spirituels. Cela ne veut pas dire que l'étude du dharma contenu dans les écritures doive être négligé. Les écritures, après tout, sont le rapport d'expériences spirituelles, de vues pénétrantes, découvertes et réalisations spirituelles du Bouddha et de ses disciples à travers les âges. L'étude des écritures occupe une place importante dans la vie spirituelle ; nous pouvons avancer beaucoup en nous en inspirant. Mais il vaut mieux étudier les écritures en compagnie d'amis spirituels, avec l'aide d'amis spirituels. Grâce à leur propre expérience spirituelle, ils pourront donner vie aux mots morts des écritures. Comme le dit Bhaisajyaraja, ils déterminent le dharma selon le dharma, non selon des idées préconçues qui n'ont rien à voir avec le dharma, ou selon des états d'esprits subjectifs. Les écritures sont faites de mots, faites de phrases ; et les explications des écritures données par les amis spirituels sont aussi faites de mots et de phrases.
Et ces mots, ces phrases peuvent être comprises littéralement : elles peuvent être comprises au pied de la lettre, et elles peuvent être comprises selon le sens. Et ce que dit la deuxième base fiable est que dans tous les cas, on devrait se fier à l'esprit, non à la lettre. Le mot traduit par « sens », ou « signification » est « artha » qui veut littéralement dire sens. Le mot rendu par expression est « uyanjana », c'est plus difficile à expliquer. Cela veut dire quelque chose comme « manifestation », « expression », « signe ». Dans ce contexte, cela veut dire : une manifestation ou une expression de la signification en mots. Une telle expression n'est toujours qu'approximative. Les mots ont leur limitation, même si, dans le cadre même de ces limitations, ils peuvent généralement bien plus qu'on ne le pense possible (nous n'entendons pas Shakespeare, par exemple, se plaindre de la limitation du langage, bien qu'il ait eu davantage à exprimer que la plupart des gens). Cependant, nous ne pouvons comprendre ce que quelqu'un dit, ce que le Bouddha dit, si nous prêtons plus attention à l'expression qu'au sens, si nous nous fions à l'expression au lieu de nous fier au sens. Vous devez avoir l'expérience de ceci vous-mêmes dans votre communication ordinaire. Vous essayez par exemple de dire quelque chose à quelqu'un, essayez de lui expliquer quelque chose. Et, à votre grande surprise, à votre grande irritation en fin de compte, la personne n'arrête pas de relever certaines phrases, certaines façons de parler, certains mots, de façon tout à fait déraisonnable. Il vous vient à l'esprit qu'elle ne veut pas vraiment comprendre du tout, elle ne veut pas vraiment comprendre ce que vous essayez de dire ; elle ne veut pas vraiment communiquer. Donc elle prête attention à votre expression, non à votre sens, elle vous prend à défaut là dessus, sur des mots. La communication n'est possible que si il y a ouverture, que si il y a réceptivité. Vous devez vouloir comprendre ce que l'autre personne essaie de dire. Vous devez prêter attention à son sens, plutôt qu'à son expression ; vous devez prêter attention à lui, devez être conscient de lui parce que le sens est, après tout, son sens, ce qui a un sens pour lui. On devrait donc se fier au sens, non à l'expression, se fier à l'esprit, non à la lettre. Et ceci est applicable à notre communication ordinaire, applicable à notre communication avec nos amis spirituels, applicable à notre étude des écritures. On devrait se fier au sens du dharma, non à son expression en mots et en phrases, sinon nous courrons le risque de n'être qu'un érudit du bouddhisme, connaissant la lettre du dharma pratiquement sur le bout des doigts mais qui est à un million de lieues de son sens.
'The Inconceivable Emancipation - Themes from the Vimilakirti Nirdesa', © Sangharakshita, 1990, traduction © Centre Bouddhiste Triratna, 2002