En termes bouddhistes, nous devons savoir ce que l'adoration du dharma est réellement. Je veux diriger votre attention sur deux choses que dit le Bouddha Bhaisajyaraja, avant de passer aux bases fiables.
Bhaisajyaraja dit :
« l'adoration du dharma consiste en la détermination du dharma selon (en accord avec) le dharma , l'application du dharma selon (en accord avec) le dharma ».
Ceci est très important. Qu'est ce que cela veut dire ?
Cela veut dire ne pas déterminer, ne pas comprendre le dharma avec ce qui n'est pas le dharma. Pour nous, en occident, cela veut dire ne pas comprendre le dharma en accord avec des croyances chrétiennes, conscientes, inconscientes ou demi conscientes. Cela veut dire ne pas déterminer, ou comprendre le dharma en accord avec les façons de penser modernes, séculières, humanistes, rationnelles ou scientifiques. Cela veut dire ne pas déterminer, ne pas comprendre le dharma en accord avec les idées fantasques des gens, braves mais nébuleux et confus, qui organisent des choses comme le festival du corps, de la pensée et de l'esprit. Le dharma doit être déterminé en accord avec le dharma. Le dharma doit être compris d'après le dharma. Le déterminer ou le comprendre selon quoi que ce soit d'autre que lui-même est le falsifier, le déformer, et le trahir. De la même manière l'adoration du dharma consiste à appliquer le dharma selon le dharma. Si on essaye par exemple de prendre un morceau de dharma (pour ainsi dire !), et de l'appliquer selon des idées chrétiennes, ça ne marchera pas. C'est-à-dire ça ne marchera pas en tant que dharma. Le « Zen chrétien » par exemple n'existe pas. Le dharma doit être appliqué selon le dharma.
Passons aux quatre grandes bases fiables. Pour une raison ou pour une autre, elles ne sont pas énumérées dans l'ordre habituel dans le Vimamakirti Nirdesa. Je vais les aborder dans leur ordre habituel, tel qu'on les rencontre dans d'autres textes parce que cela les rend plus intelligibles. Je vais en changer la traduction quelque peu : Thuman paraphrase un peu et je vais les rendre au mode impératif, ce qui est aussi plus habituel. Nous avons donc :
Avant que je dise quelque chose de ces quatre bases fiables, quelques remarques sur le mot « fiabilité » lui-même. Cela traduit le sanskrit « pratisarana » ou « pratisarna ». Laquelle des deux formes est la plus correcte n'est pas clair. « Sarana », comme distinct de « sarna » veut dire refuge et « prati » n'est qu'une préposition. Dans ce contexte elle veut sans doute dire « à propos » ou « connecté à ». Quand vous vous fiez à quelque chose ou à quelqu'un, vous vous confiez à cela ou à cette personne, vous prenez refuge en cela ou en la personne, pour ainsi dire. Pratisarana est probablement d'un sens plus fort que notre mot fiable (ce qui est fiable, « reliance » en anglais).
Enfin, quand on parle « des quatre grandes bases fiables », le terme « grandes » est fait pour souligner l'importance intrinsèque du sujet.
On devrait se fier au Dharma, non à quelque personne. Le mot traduit par « personne » est « pudgala », habituellement traduit par « personne » mais que l'on pourrait rendre par « individu ». Le dharma est « l'enseignement du Bouddha ». Donc, on devrait se fier au dharma, à l'enseignement du Bouddha, non à quelque personne, quelque individu, quel qu'il soit. Qu'est ce que cela veut dire ? Cela veut-il dire que l'on ne devrait pas se fier aux enseignants ? Cela veut-il dire que l'on ne devrait pas se fier aux amis spirituels ? Cela veut-il dire que l'on devrait seulement lire des livres sur le bouddhisme sans avoir de contact avec des bouddhistes, comme certains le font ? Cela ne veut certainement pas dire ça. Cela veut dire que l'on devrait se fier à la personne, se fier à l'individu, seulement dans la mesure où il incarne le dharma. Notez que je ne dis pas dans la mesure où il représente le dharma, je ne dis pas dans la mesure où il symbolise le dharma ; je dis dans la mesure où il incarne le dharma, dans la mesure où il réalise le dharma, parce que, après tout, le dharma n'existe pas de façon abstraite : il n'y a pas une chose qui soit « l'amitié », il n'y a que des gens qui sont amicaux ; il n'y a pas une chose qui soit « la joie », il n'y a que des gens qui sont joyeux ; il n'y a pas une chose qui soit « la méditation », il n'y a que des gens qui méditent ; il n'y a pas une chose qui soit « la sagesse », il n'y a que des gens qui sont sages. On pourrait même dire qu'il n'y a pas une chose qui soit « l'éveil », il n'y a que des gens éveillés.
Un dharma abstrait est un dharma non existant. Le dharma n'existe pas vraiment dans les sûtras, il n'existe pas réellement dans les livres, il n'existe que dans la mesure où il est pratiqué, réalisé dans la vie d'êtres humains individuels.
Donc, quand il est dit que l'on devrait se fier au dharma, non à une personne, cela ne veut pas dire que l'on devrait abandonner le dharma vivant, c'est-à-dire le dharma réalisé de fait par des individus, pour un dharma mort, c'est-à-dire les mots du dharma, préservés dans les livres. Cela ne veut pas dire que l'on devrait abandonner la communauté spirituelle et s'enfermer dans une bibliothèque. Cela ne veut pas dire que l'on devrait se suffire à soit même de façon individualiste. Cela ne veut pas dire que l'on devrait se fier à sa propre compréhension subjective et limitée des mots des écritures (au dharma mort).
'The Inconceivable Emancipation - Themes from the Vimilakirti Nirdesa', © Sangharakshita, 1990, traduction © Centre Bouddhiste Triratna, 2002