C'est dans cette atmospère de magie que se déroulent les événements du Vimalakîrti Nirdesha. On pourrait passer une vie entière à explorer le texte et à contempler les visions qu'il présente, mais ici nous ne regarderons que quelques-uns de ses thèmes. Cependant, pour avoir une idée du contexte dans lequel ces thèmes apparaissent, nous allons commencer par un bref résumé de toute l'œvre.
Bien que, nous l'avons vu, le texte ne soit pas un soûtra stricto sensu, il commence de la manière typique d'un soûtra du Mahâyâna, avec le Bouddha donnant un enseignement, entouré d'une grande assemblée de disciples. En cette occasion, il réside au parc d'Âmrapâlî, en bordure de la ville de Vaishâlî - Vaishâlî étant une ville où le Bouddha historique a donné un grand nombre de ses enseignements. Et la grande assemblée qui l'entoure est composée de toutes sortes d'êtres : des arahants, des bodhisattvas, ainsi que des brahmas et divers autres êtres non-humains, des dieux et des divinités de toutes sortes, aux côtés de moines et de nonnes, et de laïcs, hommes et femmes.
Juste au moment où le Bouddha va commencer à enseigner, le bodhisattva Ratnâkara arrive de Vaishâlî pour lui rendre visite, accompagné de pas moins de cinq cents jeunes Licchavis, c'est-à-dire de jeunes hommes de la tribu dont la capitale était Vaishâlî, portant chacun une ombrelle ou un parasol. Il ne s'agit pas pour eux de se protéger du soleil : dans l'Inde ancienne, les parasols n'étaient pas simplement utilitaires, mais symbolisaient la souveraineté, voire la souveraineté spirituelle. Et comme tant de choses dans les soûtras du Mahâyâna, ces parasols sont faits des sept substances précieuses : l'or, la perle, etc. Les jeune Licchavis offrent ces cinq cents parasols au Bouddha qui, avec son pouvoir magique, les transforme tous en un seul énorme et précieux dais, qui couvre la galaxie de milliards de mondes tout entière. Dans ce précieux dais, chacun des mondes, chacun des êtres de l'entière galaxie est reflété. Après avoir loué alors le Bouddha dans un très bel hymne, Ratnâkara lui demande d'expliquer comment un bodhisattva crée et purifie une terre de bouddha. Nous considérerons la réponse du Bouddha au chapitre suivant : Construire la terre de bouddha.
Dans le deuxième chapitre du texte, la scène s'est déplacée dans la ville de Vaishâlî et nous rencontrons Vimalakîrti lui-même. Cest un grand bodhisattva, un bouddha même, mais il vit comme un laïc ordinaire. Il vit chez lui, semble avoir une famille, semble avoir un travail, semble être comme les autres gens. Mais tout ceci ne sont que ses « moyens habiles ». Extérieurement, il s'adapte aux gens afin de pouvoir les approcher et leur enseigner le Dharma. Et comme moyen habile, il tombe malade, ou semble tomber malade. En conséquence, toutes sortes de gens viennent lui rendre visite, et il profite de cette opportunié pour leur enseigner le Dharma. Cela sera le thème de notre chapitre 3 : Être toutes les choses pour tous les hommes.
Dans les chapitres 3 et 4 du texte, nous sommes de retour au parc d'Âmrapâlî, où le Bouddha fait la suggestion que quelqu'un aille rendre visite à Vimalakîrti et lui demande comment il va. Il demande d'abord aux arahants, en commençant par Shâriputra, puis demande aux bodhisattvas, en commençant par Maitreya. Mais aussi étrange que cela puisse paraître, tous les disciples sont très réticents à l'idée d'aller rencontrer Vimalakîrti. Ils l'ont, semble-t-il, déjà rencontré auparavant et, tout arahants ou bodhisattvas qu'ils aient été, il leur a fait passer un moment très difficile ; il leur a révélé sans ménagement les insuffisances de leur approche du Dharma. Nous regarderons ceci dans notre chapitre 4 : La critique transcendantale de la religion.
Au chapitre suivant du Vimalakîrti Nirdesha, quelqu'un accepte enfin d'aller rendre visite à Vimalakîrti. Mañjushri, le bodhisattva de la Sagesse, dit qu'il va y aller et, avec une bonne partie de l'assemblée, il se met en route pour Vaishâlî. Lorsqu'il arrive dans la maison de Vimalakîrti, il s'engage immédiatement dans un vigoureux dialogue avec Vimalakîrti sur la nature de la vacuité et de la libération. Chacun essaye de donner à l'autre une vraie dérouillée dialectique, mais ils sont à la hauteur l'un de l'autre.
Ce petit combat d'entraînement transcendantal terminé, Mañjushri en vient au sujet de sa visite et demande à Vimalakîrti pourquoi il est malade. La réponse de Vimalakîrti à cette question est devenue très célèbre. Il dit qu'il est malade parce que les êtres sont malades, sa maladie est née de la grande Compassion. Il explique aussi assez longuement comment un bodhisattva « malade », devrait contrôler son esprit. Dans ce chapitre, tout comme dans les chapitres suivants, nous avons, l'un en face de l'autre, Mañjushri, une personne mythique, et Vimalakîrti, une personnalié historique - le mythe et l'histoire face-à-face. Ce sera notre thème au chapitre 5 : L'histoire face au mythe dans la quête de sens de l'humanité.
Le sixième chapitre du texte traite, comme nous l'avons vu, de l'émancipation inconcevable elle-même. Grâce à son pouvoir magique, Vimalakîrti transporte trois millions deux-cent mille trônes léonins de la terre de bouddha du bouddha Merupradîparâja, qui est située vers l'est, à une distance d'innombrables terres de bouddha. Tous ces trônes, qui ont de toute apparence des kilomètres et des kilomètres de haut, trouvent tout facilement leur place dans la maison de Vimalakîrti - prodige de magie nous démontrant la relativité de l'espace. L'espace n'est qu'un concept, tout comme le temps n'est qu'un concept. Vimalakîrti décrit ensuite divers autres prodiges de magie que le bodhisattva qui demeure dans l'émancipation inconcevable peut accomplir.
Au chapitre 7, Vimalakîrti explique, en réponse à une question de Mañjushri, comment un bodhisattva devrait considérer tous les êtres. À ce moment là, une déesse qui vit dans la maison de Vimalakîrti a fait pleuvoir des fleurs célestes sur toute l'assemblée. Les fleurs qui tombent sur les bodhisattvas les touchent puis tombent à terre, mais celles qui tombent sur les arhants restent accrochées à eux. Shâriputra essaie sans succès de s'en débarrasser ; il est un moine, et les moines ne sont pas censés porter des fleurs. S'ensuit un dialogue entre Shâriputra et la déesse, dans lequel elle démontre sa profonde compréhension du Dharma et explique les merveilleuses caractéristiques de la maison de Vimalakîrti.
Au chapitre 8, Vimalakîrti explique comment acquérir les qualités d'un bouddha. Mañjushri, quant à lui, explique en quoi consiste la véritable famille du Bouddha. Tous deux s'expriment de façon extrêmement paradoxale. Après cela, un bodhisattva questionne Vimalakîrti à propos de sa famille. En Inde, les gens veulent toujours connaître les détails personnels : qui est votre père, qui est votre mère, où vivent-ils, si vous êtes marié, combien d'enfants vous avez, etc. La réponse de Vimalakîrti à ces questions prend la forme d'une longue série de vers, qui forment en fait un des plus beaux passages de toute l'œuvre. Il dit que la mère du bodhisattva est la perfection de la sagesse. C'est la perfection de la sagesse qui lui a donné naissance, qui l'a élevé et l'a nourri. Son père est les moyens habiles. Sa femme est la délectation du Dharma. Ses filles sont l'amour et la compassion, et ses fils sont la droiture et la vérité. Quant à sa maison, c'est la méditation sur la signification de la vacuité. Vimalakîrti continue ainsi pendant quarante ou cinquante versets.
Le chapitre 9 traite de la question de la non-dualité. Vimalakîrti demande à tous les bodhisattvas présents d'expliquer leur pensée sur la non-dualité, ce qu'ils font tour à tour. Puis ils demandent à Mañjushri ce qu'est son explication de la non-dualité. Il dit qu'ils ont tous bien parlé mais que leurs explications sont insuffusantes car elles sont dualistes, alors que la non-dualité ne peut pas du tout être exprimée. Cette affirmation de Mañjushri est très profonde, mais il n'a pas le dernier mot... ou plutôt il l'a. Une fois qu'il a parlé, il demande à Vimalakîrti quelle est sa propre explication de la non-dualité, et Vimalakîrti reste complètement silencieux. Ceci est le célèbre « silence de tonnerre » de Vimalakîrti. Cependant, quand nous arriverons à cet épisode dans notre sixième chapitre, La voie de la non-dualité, nous aurons au moins quelque chose à dire.
Au chapitre 10 du texte nous revenons sur terre, relativement parlant. Shâriputra commence à s'inquiéter du repas de midi. Après tout, les moines ne sont pas supposés manger après midi (si vous n'avez jamais été moine, vous ne savez pas à quel point cela est important). Vimalakîrti sait ce que pense Shâriputra ; il a aussi ce pouvoir magique. Et c'est là qu'il fait apparaître un jeune et beau bodhisattva, de couleur dorée, et il l'envoie vers une terre de bouddha appelée « Terre Qui Embaume de Toutes les Fragrances », pour y chercher de la nourriture. Ce bodhisattva revient avec un récipient rempli d'ambroisie parfumée, et quatre-vingt-dix millions de bodhisattvas reviennent avec lui, qui réussissent tous à trouver une place dans la maison de Vimalakîrti. L'ambroisie, aussi étrange que cela puisse paraître, suffit largement à nourrir toute l'assemblée. En réponse à une question de Vimalakîi;rti, les bodhisattvas qui viennent d'arriver disent que le bouddha de leur terre n'enseigne pas le Dharma au moyen du son et du langage. Il l'enseigne au moyen des parfums. Ce sera le sujet de notre chapitre 7, Le mystère de la communication humaine.
Au chapitre 11, nous retournons au parc d'Âmrapâlî, où le Bouddha enseigne aux disciples qui n'ont pas accompagné Mañjushri chez Vimalakîrti. Pendant qu'il enseigne, tout le parc devient tout-à-coup bien plus grand, et tout devient teinté d'une belle couleur dorée. À peine le Bouddha a-t-il dit à Ananda que Vimalakîrti et Mañjushri arrivent de Vaishâlî avec toute leur suitee, qu'ils arrivent tous. Le Bouddha se met à expliquer que différents bouddhas enseignent le Dharma de différentes façons, pourtant, leur éveil et leurs réalisations spirituelles sont les mêmes. Il parle aussi longuement de l'émancipation intitulée « L'Épuisable et l'Inépuisable ».
Au chapitre 12, aprè que Vimalakîrti a expliqué sa perception du Bouddha. Shâriputra veut savoir d'où vient Vimalakîrti. Il lui es dit que Vimalakîrti vient d'Abhirati, les « Plaisirs transcendants », la terre de bouddha du Bouddha Akshobhya à l'est. Il s'ensuit que tout le monde veut voir cette merveilleuse terre, et le Bouddha demande à Vimalakîrti de la leur montrer, ce que fait Vimalakîrti grâce à son pouvoir magique.
Au chapitre 13, Indra, le roi des dieux, loue l'enseignement de l'émancipation inconcevable et promet de protéger le Dharma. Le Bouddha raconte alors comment il a lui-même pratiqué le Dharma dans une existence précédente, en suivant les enseignements du Bouddha de cette époque-là, appelé Bhaisajyarâja. Parmi ces enseignements, il y a celui des Quatre Bases de la Confiance : on devrait se fonder sur la signification du Dharma et non sur son expression littérale ; sur la sagesse et non sur la conscience ordinaire ; sur des enseignements ultimes et non des enseignements provisoires ; et sur des principes et non sur des personnes. Nous regarderons ces quatre bases de la confiance dans notre huitième chapitre, Les critères de la vie spirituelle.
Au chapitre 14 du texte, le Bouddha confie son enseignement sur l'éveil suprême à Maitreya, le Bouddha du futur. Maitreya promet de protéger et de promouvoir le Dharma, particulièrement son présent exposé qui, assure-t-il, sera largement enseigné, copié, discuté, mémorisé et compris. Tous les bodhisattvas font la même promesse, tout comme les Quatre Grands Rois, les gardiens des quatre directions de l'univers.
Ânanda, qui pense à tout, demande sous quel nom cet exposé sera connu. Le Bouddha lui dit qu'il s'appellera le Vimalakîrti Nirdesha, et dans la réjouissance et le bonheur généralisés, le texte se termine. Tout le monde déborde de joie, tout le monde est élevé, tout le monde est transformé ; tout le monde a progressé sur la voie pour avoir entendu toutes ces choses merveilleuses.
The Inconceivable Emancipation - Themes from the Vimilakirti Nirdesa, © Sangharakshita, 1990, traduction © Centre bouddhiste Triratna, 2002-2023.